Les beaux-arts et le design au service de la mode contemporaine
Les créateurs de mode puisent leur inspiration partout autour d’eux, notamment dans les beaux-arts. Les couleurs variées et le graphisme transmis par les tableaux se prêtent volontiers à une interprétation sur tissu. De plus, dans la mode, tout est permis. C’est pourquoi, les créateurs s’inspirent aussi d’éléments du quotidien pour les projeter sur les vêtements qu’ils créent voire pour transformer l’objet même en vêtement. Ils s’en servent parfois pour dénoncer, protester et s’engager au service de causes qui les affectent. Ainsi, des créateurs outrepassent les limites de l’imagination humaine en offrant des collections hors du commun qui frappent les esprits contemporains.
Ci-dessus: Robe Mondrian, YSL, défilé automne-hiver 1965
Trois années seulement après l’ouverture de sa maison de couture éponyme, Yves Saint Laurent opère un coup de génie avec la robe « Hommage à Mondrian » présentée lors du défilé automne-hiver 1965. Cela lui vaudra sa renommée mondiale. Le créateur a en effet su allier simplicité et modernité en se réappropriant l’œuvre du peintre Mondrian. Il a en même temps su conserver le motif brut qui compose le tableau et son caractère abstrait mais captivant. D’emblée, c’est une robe qui interpelle. Elle dégage une forme de sobriété et d’élégance par sa coupe et les motifs géométriques qui la constituent. Les couleurs, quant à elles, offrent une touche d’originalité. Le tout assemblé dégage une puissance visuelle et attractive à l’image de celle du tableau d’origine.
Ci-dessus: Défilé YSL 1966 (robe au centre inspirée de Van Gogh) / Défilé YSL 1988 (à gauche et à droite, inspiration de Picasso et de Braque)
De nouveau, Saint Laurent se démarque avec des créations qui s’inspirent des œuvres qu’il admire. Les capes voluptueuses et les tenues du soir sont des sublimes supports où s’épanouissent les compositions de G. Braque ou encore de V. van Gogh. La femme joue le cadre et s’enveloppe de ces parures « œuvres d’art », symboles de liberté et de légèreté. On est facilement sensible à la vue de ces colombes cubistes brodées de sequins qui s’envolent ou semblent s’embrasser sur le haut des silhouettes. Le couturier offre également sa version du tableau Les Iris du peintre impressionniste Van Gogh. Tous les ingrédients puissants qui interpellent sur le tableau sont présents chez Saint Laurent, que ce soit la nature, la pureté et la richesse des couleurs et des formes.
Ci-dessus: Défilé Viktor&Rolf 2015, "robes tableaux"
En 2015, la marque Viktor & Rolf nous offre un étonnant défilé avec des modèles sortis tout droit de tableaux de peinture. Les robes sont des sortes de canevas destructurés : les objets habituellement accrochés aux murs de nos salons deviennent soudain portables. La savante composition des robes laisse entrevoir des morceaux de cadres en relief à l’aspect de carton ou de bois tantôt brut tantôt doré. Ils forment une parade sublime aux encolures traditionnelles des robes. Le drapé, quant à lui, illustre à merveille le reflet de peintures aux couleurs pastel. Il laisse également paraître une représentation illusoire de projections de peinture. Le tout est harmonieux et ne nous laisse pas indifférents.
Ci-dessus: Défilé automne-hiver 2000/2001 Hussein Chalayan
Hussein Chalayan peut largement être qualifié d’avant-gardiste. En 2000, la guerre du Kosovo fait rage. Le créateur imagine alors une collection intitulée « Afterwords », une référence directe à ce qu’il a vécu lorsque sa Chypre natale a été divisée. On peut parler d’un défilé expérimental car les mannequins défilent dans des « tuniques-meubles » qu’elles enfilent à partir des housses présentes dans la pièce blanche et minimale qui tient lieu de podium. L’apothéose du défilé : la « robe-table », une robe imposante en bois qui sert de table juste avant d’être arborée par le mannequin. On est envoûté par une impression paradoxale de légèreté. Mais en réalité, Chalayan cherche à s’adresser aux réfugiés et aux exilés : que peut-on emporter avec soi pour fuir en quelques minutes seulement? A cette question, le créateur répond par cette suite de meubles qui deviennent tantôt des vêtements ; tantôt des valises. On semble s’éloigner d’une discipline par essence luxueuse et parfois superficielle. Ici, la mode devient véritablement engagée.